Battiston, Tigana, Rohr, Trésor, Girard… Ils racontent « leur » Bernard Lacombe aux Girondins
« Les Girondins, c’était tout pour lui » racontait son « frère » Alain Giresse mardi soir, quelques minutes après l’annonce publique de son décès. Ce mercredi, d’autres membres de cette glorieuse épopée (trois championnats et deux Coupes de France remportés) ont raconté, avec la gorge serrée souvent, « leur » Bernard Lacombe en Marine et Blanc.
Bernard Michelena (son entraîneur adjoint de 1979 à 1987)
« Le premier souvenir qui me revient est le jour où il est arrivé de Saint-Etienne (en 1979). Sa femme n’était pas là, il n’était pas bien. Pour Luis Carniglia, l’entraîneur d’alors, l’avant-centre devait être quelqu’un de grand et costaud. Il n’appréciait pas beaucoup Bernard. Je lui avais proposé de faire des étirements dans sa salle de bains. C’est le premier contact que j’ai eu avec lui, dans un hôtel de Bordeaux-Lac. C’est un jalon du football. Il avait une constance dans la recherche du but, jaugeait les défenseurs adverses, le gardien dès la première action. Je me souviens de matchs en Yougoslavie, en URSS… Il s’engageait énormément. À côté de cela, il était très attachant, voulait toujours savoir. »
Gernot Rohr (coéquipier de 1979 à 1987)
« Je garderai toujours en mémoire son coup franc contre Rennes qui nous a apporté le titre en 1984. Je me demande encore pourquoi il a frappé du pied gauche ! Quand Dieter Müller est arrivé (en 1982), tout le monde se demandait comment on allait faire avec Bernard et lui. Aimé Jacquet s’est adapté et ça a été fantastique. Bernard était très intelligent, savait s’adapter aux situations. Comme il était lyonnais comme Aimé, il avait une influence sur le staff, était un relais privilégié. C’était un petit gabarit, très bon de la tête et toujours positif dans ses prises de position. À l’entraînement, il était ambitieux, moi aussi, mais on se respectait ! Comme les anciens, il avait eu une dernière année de contrat de remerciement avec Claude Bez et il était venu s’occuper des jeunes avec nous, au Cap Ferret, pour les stages Cap Girondins. Il avait commencé à entraîner auprès de la réserve. Il était très écouté. »
Jean Tigana (coéquipier de 1981 à 1987)
« La première fois que je l’ai rencontré, c’était en équipe de France à Chypre (en 1980). On partageait la chambre et il a passé la nuit sur le balcon. C’était ma deuxième sélection, je dormais comme un bébé et lui était dans le stress, toujours à bloc. Je lui avais dit : « mais le match, c’est demain » (sourire). Aux Girondins à l’époque, Aimé Jacquet (entraîneur, NDLR) donnait le tempo et les joueurs en équipe de France faisaient le recrutement. Il m’avait dit : « viens, on va t’aider à t’installer ». Sur le terrain, c’était un buteur. Si on gagnait 3-0 et qu’il n’avait pas marqué, il était en colère. On avait des codes. Quand je débordais, il savait que si je ne baissais pas la tête, je centrais premier poteau. Et si je la levais, il faisait appel au premier puis reculait au second. J’ai rarement vu quelqu’un aussi courageux, mais aussi très humain. »
Patrick Battiston (coéquipier de 1983 à 1987)
« Quand on me parle de Bernard, je repense à nos mises au vert à Belin-Béliet. Il avait ses chaussures qui brillaient toujours, avec le petit ramoneur dans une et l’eau bénite dans l’autre. C’était quelqu’un de bien, d’attentionné, un partenaire toujours enthousiaste. Au-delà de ses qualités de joueur, c’était un ami qui donnait tout pour le club. Lors de l’Euro 1984 (remporté avec l’équipe de France), il n’avait pas marqué mais avait tout fait pour l’équipe. Je retiens aussi le coup franc lors du match du titre en 1984 contre Rennes (2-0). J’étais à côté de lui et il m’a dit : « Battiste, je le sens ». Il frappe du gauche et il marque. Cette prise de décision, ce caractère bien trempé, c’était lui. Il était capable d’être agressif quand la situation l’imposait, mais toujours avec de la bienveillance derrière. »
René Girard (coéquipier de 1980 à 1987)
« Dès mon arrivée à Bordeaux en 1980, il a été un pilier. C’était quelqu’un avec qui vous saviez que vous pouviez partir à la guerre. Je me souviens d’un match à Strasbourg. On perd 1-0 en fin de match, sur un terrain gelé. Nanard se met à genoux et tape avec ses deux poings sur le terrain. Il est revenu trois heures après avec les deux bras plâtrés. C’était lui tout craché. À côté de ça, c’était un joyeux luron, une encyclopédie : comme « Gigi » (Alain Giresse), il avait toujours une histoire à raconter. On se retrouvait souvent dans le Médoc pour faire une petite fête. Au début, il arrivait de Lyon et me prenait à Nîmes en passant. Vous pouviez toujours compter sur lui. Il n’a pas toujours été reconnu à sa juste valeur au plan international mais il est l’un des meilleurs buteurs de tous les temps, sans être pour autant égoïste. Il avait tout fait pour mettre Dieter Müller dans les meilleures conditions. Il était gentil, mais pas con : valeureux, généreux. En 1986, il avait joué la finale de Coupe de France avec un genou très douloureux. »
Marius Trésor (coéquipier de 1980 à 1984)
« J’ai d’abord connu Nanard en équipe de France et comme adversaire. Lors de la tournée en Amérique du Sud en 1977, nous étions en chambre ensemble. Comme je jouais libéro, je n’avais pas de marquage individuel et à chaque fois ça se passait bien. Il me disait : « toi, tu n’es pas méchant ». Ca me faisait plaisir. Et quand je suis arrivé à Bordeaux, il est le deuxième après Gérard Soler à m’avoir aidé à m’installer. Nous étions allés faire des photos dans le Médoc, avec son premier fils. C’était un frère pour moi. Lors d’un Lyon-Marseille, où nous étions face à face, un arbitre nous l’avait fait à l’envers. Du coup, lors des entraînements, il n’arrêtait pas de me citer son nom pour m’énerver (sourire). Sur le terrain, je le comparais à Josip (Skoblar) ; il était le premier à mettre le pied pour marquer le territoire. Il a été extraordinaire à Lyon, mais il a passé encore un cap à Bordeaux : avec Alain Giresse, qu’il avait côtoyé en équipe de France junior, il avait trouvé un pourvoyeur de ballons extraordinaire. »
Jean-Christophe Thouvenel (coéquipier de 1979 à 1987)
« Nous sommes arrivés ensemble. Nous n’étions pas de la même génération ni tout le temps ensemble en dehors du terrain, mais nous avions la même approche du métier : c’était un grand professionnel et on pouvait compter sur lui. Il était attachant et a fait le lien entre deux générations de footballeurs, ceux des pionniers des années 1970 qui se sont qualifiés pour la Coupe du monde 1978 et les Ferreri, Touré, arrivés au milieu des années 1980. Dans un monde individualiste, il protégeait toujours le groupe, le mettait en avant. Il était attaquant, mais quand il fallait aller au combat, notamment dans les matchs de Coupe d’Europe dans les pays de l’Est où on était attendu, il ne s’échappait pas. Bernard, on ne lui marchait pas dessus. »
Thierry Tusseau (coéquipier de 1983 à 1986)
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