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Dans les rues de Paris après la victoire du PSG : «C’est irréel, ce n’est pas logique»

Etre ou ne pas être à jamais les premiers à avoir remporté deux trophées européens, une Coupe des vainqueurs de coupe et une Ligue des champions ? A la Ferme, avant la finale qui oppose le Paris-SG à l’Inter Milan à l’Allianz Arena de Munich, personne ne veut y penser. Le café de la rue des Petites-Ecuries, dans le Xe arrondissement, a prévu un menu spécial PSG avec couscous et pinte de blonde à 20 euros. Et le serveur barbu sert mojito sur mojito sans se poser de questions. Non loin, au New Morning, se tient la finale française d’Emergenza, tremplin de jeunes groupes rock. Un garçon est venu supporter sa copine qui chante dans le groupe Kov. La queue des spectateurs se mélange aux supporteurs parisiens qui fument sur le trottoir, drapés dans des maillots Barcola, Dembélé ou, plus rare, Mbappé. C’est la soirée des grands matchs sur ce bout de trottoir. «Franchement, que le meilleur gagne, mais je préfèrerais que ce soit Paris», espère Martin, au fond de la salle de la Ferme. «Ouais, mais de toute façon on va perdre 2-1», lui répond un ami.

Le jeune homme aux yeux bleus n’est pas pessimiste, mais fataliste. Il s’agit de poisse. De poisse éternelle. Celle qui fait plier le PSG devant un Barça en pleine remontada. Celle qui pousse les supporteurs à se dire que l’année prochaine sera meilleure quand sur l’écran Thiago Silva pleure après une énième défaite en Ligue des champions. Ce samedi 31 mai au soir, pour sa deuxième finale dans cette compétition, au sein d’un stade non confiné et avec une équipe performante, le PSG saura s’il est maudit, à jamais miné par une confiance vacillante, ou s’il est enfin entré dans le territoire des vainqueurs, ceux qu’on révère et qu’on ne plaint pas. «Je n’aime pas ce match. J’aurais préféré qu’il n’existe pas. Si on perd, c’est triste, comme d’habitude. Si on gagne, on n’aura plus rien à remporter. J’aime quand chaque saison apporte un espoir, on se dit qu’on peut avancer», marmonne un vieux supporteur. Par message, un autre nous envoie son état d’esprit : «Le stress est dingue. Comme si, si jamais on l’emportait, plus rien ne pouvait nous arriver de grave plus tard.» A la Ferme, Louis – qui adorerait qu’on accole à son patronyme «le prénom a été modifié», appelons-le donc Benoît (1) –, voudrait que le PSG gagne, mais il a misé en ligne sur une victoire de l’Inter : «1-0. C’était la meilleure cote.» On te croit, Benoît.

Première mi-temps. Après des hurlements et des chants dans la salle surchauffée au moment de la présentation des équipes, la table de Benoît attaque son couscous. Poulet et merguez. Sur le terrain, Paris domine. A la 12e minute, Achraf Hakimi marque. La salle explose. Les supporteurs lévitent, les verres s’écrasent au sol. Enfin ! Paris entr’aperçoit le territoire des vainqueurs à travers le brouillard des fumigènes. Benoît, imperturbable, finit sa cuisse de poulet. A la 20e, Désiré Doué alourdit le score et les Parisiens valident leur visa provisoire pour le triomphe, la frontière est toute proche. Autour de Benoît, les gens sautent sur des chaises, s’écrasent. «Je me suis planté sur mon pronostic, mais c’est mieux comme ça», sourit-il.

Seconde mi-temps. Y a-t-il eu du suspense ? Non. Doué à nouveau, Khvicha Kvaratskhelia et Senny Mayulu font pivoter à jamais le destin du Paris-SG dans des rugissements de bonheur. «Moi, je viens de Honfleur. J’ai commencé à m’intéresser au foot à l’âge de 10 ans, vers 2001. J’ai vu un match du PSG avec Ronaldinho, qui a fumé toute l’équipe de Marseille, se souvient Pierrot, 33 ans. Je me suis dit : c’est mon joueur, c’est mon équipe. Je ne savais pas à quel point ça allait être compliqué !» Il évoque la saison 2006-2007, alors que le PSG était relégable, il parle de Fabrice Fiorèse et lance à un de ses amis : «Tu y crois, toi ?» Le «y», c’est 5-0 contre l’Inter Milan, la dernière marche du panthéon footballistique allègrement foulée, Paris devenu champion, Marquinhos qui pleure de joie. «Non, c’est irréel. Incroyable, même, ce n’est pas logique», répond l’ami aux yeux bouffis qui semble se réveiller d’un sommeil de cinquante ans. On dirait presque que ce sacre ne lui fait pas plaisir. Ou qu’il a peur d’être heureux sur un sujet aussi casse-gueule que le PSG. Cette coupe aux grandes oreilles, c’est comme un décès : on met du temps à réaliser.

Sur l’écran géant, l’entraîneur Luis Enrique sourit. Dans le bar, les gens dansent. A l’extérieur, la ville s’apprête à célébrer ses nouveaux héros. Mais ni la bande de Benoît ni celle de Pierrot n’iront aux Champs-Elysées. «Pour les demi-finales, ça craignait trop. L’ambiance est pourrie, il y a des flics et des bastons.» Sur les grands boulevards, dans l’air encore tiède du soir, de longues grappes de supporteurs avancent, elles, résolument en direction des Champs. Comment Paris se transforme-t-il en ville championne ? Dans une ivresse carnavalesque, sûre de son bordel. On voit de tout. Des groupes sur des abribus, des défilés de scooters qui pétaradent en klaxonnant, des fumigènes et des mortiers d’artifice tirés depuis chaque carrefour, des barricades de Vélib et des farandoles de maillots déambulants : tantôt l’on suit Neymar Jr, tantôt Pastore ou encore Pauleta, Vitinha, Joao Neves, Nuno Mendes. La foule heureuse trotte gaiement en chantant : «Laaaaa la la la la laaaaaa Paaaaris-SG, laaaaa la la la la laaaaaa Paaaaris-SG…» Paris est musique lors de cette manif dont la revendication est la joie.

Dans le VIIIe arrondissement, l’ambiance se dégrade. Rue de la Boétie, un troquet n’a plus de vitrine, une boutique de téléphonie se fait vandaliser. Sur le rond-point des Champs-Elysées, les forces de l’ordre ne laissent passer dans l’avenue saturée qu’un filet de supporteurs au milieu d’épais nuages de lacrymo. Au loin, de la fumée, le rouge vif d’un fumigène, l’écho d’explosions. Silvia et Luis sont Argentins. Ces deux jeunes retraités ont atterri à Paris ce samedi, mais ils ne peuvent rejoindre leur hôtel situé rue Lincoln, à quelques minutes à pieds. Ils attendent dans l’obscurité avec leurs valises dans le renfoncement d’un café fermé, voient passer sous leurs yeux les mouvements de foule hurlante, assistent à des charges de CRS ou à l’arrivée tonitruante de pompiers, s’écorchent les oreilles aux tirs de mortier. «En Argentine, on a l’habitude des célébrations après des matchs de foot. Mais là… c’est violent quand même. Et puis il n’y a pas de lacrymo dans ces moments-là, en Argentine», explique Luis. Silvia, pas rassurée, fait la moue.

Quelque 5 400 policiers et gendarmes ont été déployés dans les rues de Paris ce samedi soir, essentiellement sur les Champs-Elysées et aux abords du Parc des Princes où se tenait une diffusion du match sur écran géant. Selon un décompte de la préfecture de police relayé par l’AFP à 2 heures du matin, 294 interpellations ont été effectuées et deux voitures ont été brûlées du côté de la Porte de Saint-Cloud. Des supporteurs ont bloqué la circulation du périphérique. Un magasin de chaussures a été vandalisé.

Beaucoup de ceux qui auraient aimé chanter sur les Champs ont renoncé. «Dès qu’on s’approche, on est gazés», déplore Lilas, 17 ans. Avec un groupe de copines, elle est venue «pour Paris», puis, tirant sur son maillot du PSG et avec un grand sourire : «Je suis née à Paris, j’ai toujours vécu à Paris. Le PSG, c’est mon club !» On comprend. On est aussi né à Paris, le PSG fait partie de notre vie, tout comme les Champs-Elysées, le métro ou le ciel souvent gris. On est des centaines de milliers dans le même cas, suspendus aux aléas de ce club que l’on suit à notre corps défendant. Le club de notre ville. On a appris à l’aimer, ou à ne pas trop le détester, avec ou sans Qatar. Enfant, on est allé au Parc des Princes, on a goûté les abysses des matchs nuls 1-1 contre Sochaux sous la pluie. Aujourd’hui, c’est différent. La donne a changé. La victoire nous est tombée dessus.

Auteur : Guillaume Tion

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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