Football : les confidences de Laurent Boissier, de Nîmes Olympique à Angers, d’un maintien à l’autre, d’un miracle à l’autre
Le directeur sportif Laurent Boissier, 53 ans, a réussi le tour de force de maintenir Angers, plus petit budget de l’élite. Comme NO en 2019… « J’ai laissé Nîmes en Ligue 1, pas en N2 », rappelle le Gardois dans un entretien vérité.
Il dit encore “nous” quand il parle de Nîmes Olympique. Mais lui, contrairement à son club de cœur, est encore en Ligue 1, après un maintien avec Angers que pas grand monde ne lui promettait l’été dernier. Comme pour NO il y a sept ans. Le parallèle était tentant. On l’a tenté avec Laurent Boissier, 53 ans, bien installé comme l’un des dix-huit directeurs sportifs de l’élite du foot français. Et sûrement pas le 18e…
Quel est le plus grand miracle ? Avoir contribué à maintenir Angers en 2025 ou Nîmes en 2019, sachant que les deux clubs avaient le plus petit budget de L1 (25 M€) ?
Pour moi, ce n’est pas des miracles, car cela voudrait dire que je n’y croyais pas au départ, que je ne croyais pas en mon staff, mes joueurs… Et si vous ne croyez pas que c’est possible, ce n’est pas la peine d’y aller. Mais s’il faut comparer, je dirai que c’était deux missions complexes, de difficulté équivalente, avec deux équipes qui montent, aux moyens limités, et bonnes dernières en termes de masse salariale au départ. Dans les deux cas, on savait qu’on allait être en difficulté. Mais ça ne m’a pas empêché d’y croire à fond.
Beaucoup de clubs sous-performent. Comment avez-vous fait, avec Angers et Nîmes, pour surperformer ?
En fait, c’est l’ensemble d’un club qui doit surperformer, et ça passe par une parfaite cohésion entre tous les rouages : président, directeur sportif, staff, joueurs, kinés… Chacun doit apporter sa pierre à l’édifice. Exemple : moi, j’apporte de la matière première au coach et au staff, et c’est à eux de la travailler. Si la matière première n’est pas bonne, c’est compliqué. Et si elle est bonne et qu’elle n’est pas bien travaillée, c’est compliqué aussi.
« Au départ, à Nîmes ou à Angers, on sait que l’on est moins fort que les autres »
Au départ, à Nîmes ou à Angers, on sait que l’on est moins fort que les autres. Nos joueurs sont très bons, mais ils sont moins forts que ceux de Lille ou de l’OM. Alors, il faut compenser par des valeurs de cœur, d’envie, de travail, de don de soi. Il faut que l’on coure plus. Sur le terrain comme dans les bureaux, on ne peut jamais être à 40 ou 50 %, on doit être à 120 ou 130. Au SCO comme à NO, on a rarement gagné des matches par trois buts d’écart. Mais on en a gagné…
Comment avez-vous vécu votre départ de Nîmes, vous qui y êtes très attaché, et comment avez-vous réussi à vous imposer en Ligue 1 ?
Ça a été un crève-cœur de quitter ma ville, où j’ai ma famille, ma belle-famille, mes amis. Les six premiers mois (fin 2021 – début 2022, NDLR) ont été très durs, il a fallu que je me fasse ma place dans un environnement nouveau. J’ai fait un bon premier mercato de janvier, où j’ai réussi à sortir pas mal de joueurs, j’ai rempli ma feuille de route et le président m’a fait confiance.
Aujourd’hui, je suis heureux d’occuper l’un des dix-huit postes de DS de Ligue 1, dans une ville merveilleuse et dans un club avec de super infrastructures. Mais je ne suis pas un rêveur : je n’oublie pas qu’il y a une grosse dizaine d’années, je traçais les lignes des terrains de La Bastide et que je servais les petits-déjeuners aux jeunes du centre de formation de Nîmes Olympique avec Momo Benyachou, que je salue et qui est un super éducateur.
Mais je ne me sens pas pour autant inférieur aux dix-sept autres : je pense avoir des références dans mon travail, même si je bosse seul, sans cellule de recrutement. C’est bien de se rendre compte quand quelqu’un fait les choses bien. Quand je suis parti de Nîmes, j’ai laissé le club en L1, pas en N2…
Que ressentez-vous après sa descente au niveau amateur ?
Cette saison, j’ai passé mes vendredis soirs devant ffftv pour voir les matches de National, en zappant avec ceux de Ligue 2 et celui de Ligue 1. Ça me sert pour mon travail, mais c’était aussi pour voir Nîmes. Je suis très malheureux, pour les Nîmois, pour les supporters, pour ma ville. C’est un véritable désastre.
Dans Midi Libre, Bernard Blaquart s’est dit triste mais pas surpris. La chute était-elle prévisible ?
Prévisible ? Je ne sais pas. Cela regarde les personnes qui sont restées. Quand on m’a demandé de partir, je n’ai pas l’impression que beaucoup se soient alarmés ou aient été choqués. Quand je n’étais plus là, il s’est passé plein de choses. Comme le centre de formation qui a été fermé. J’avais toujours dit à Rani (Assaf) qu’il était hors de question de renoncer à l’agrément tant que j’étais là.
Même si j’ai fait des erreurs, je pense avoir fait de bonnes choses à Nîmes, mais peut-être que l’on n’a pas bien estimé cela. Trois des joueurs que j’avais fait venir, Mounié, Del Castillo et Boscagli, se sont qualifiés pour la Ligue des champions l’an dernier. Et les Savanier, les Ferri, les Bernardoni, etc., comment sont-ils arrivés au club ?
Selon vous, qu’est-ce qui peut sauver Nîmes aujourd’hui ?
Retrouver nos valeurs, se rapprocher de notre public. Quand je vois la débauche d’énergie des Gladiators, des Nemausus, du collectif Sauvons le Nîmes Olympique, pour ce club… Il faut arriver à rassembler tous les acteurs, le tissu économique local, comme savent le faire un Tebib avec l’Usam ou un Calligaro avec le RCN. Il faut avoir la fibre.
Vous qui l’avez côtoyé, comment jugez-vous l’attitude de Rani Assaf ?
Je me sens triste et impuissant car quand j’étais adjoint au maire chargé des sports (2020-2021), je ne gérais pas le dossier Nîmes Olympique, de par mon passé au club. Malheureusement, la seule chose que je peux dire, c’est que son bilan ne plaide pas pour lui. Ces dernières années, ses décisions sportives n’ont pas été une grande réussite. Il doit faire son autocritique et s’il doit partir, il doit le faire le plus vite possible pour que le club puisse rapidement retrouver ce qui lui est dû : le haut niveau. Un Strasbourg est arrivé à s’en relever.
Avec Laurent Boissier, un jour, à nouveau ?
Comment pourrais-je vous dire non ? Revenir un jour, oui, j’en serais ravi. Mais aujourd’hui, je suis très bien où je suis, à Angers, en Ligue 1.
Pour finir, vous avez travaillé avec deux présidents qui ont défrayé la chronique pour des raisons différentes. Est-ce compliqué avec eux ?
À la base, déjà, ce sont mes patrons, qui font vivre ma famille, et je les respecte. Ce sont deux personnalités fortes, avec leurs qualités et leurs défauts, qui sont partis de rien et qui ont réussi dans leurs affaires professionnelles et sont arrivés au sommet. Je crois qu’un Assaf ou un Chabane à Angers attendent d’avoir du répondant en face d’eux. Moi, quand je leur dis que c’est rouge, c’est rouge. Je ne vais pas leur dire noir pour leur faire plaisir. Mais après, peut-être qu’au bout d’un moment, je leur casse les pieds…
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