REPORTAGE. Des terrains de foot au Château de Versailles, le concours d’éloquence des centres de formations casse les codes et les clichés
L’hymne de la Ligue des champions et Jump, de Van Halen, n’avaient jamais dû beaucoup retentir au Château de Versailles. Mais, lundi 12 mai, ce sont ces musiques d’entrée de joueurs de quelques-uns des clubs de football français qui ont résonné dans ces murs, plus habitués aux compositions de Jean-Baptiste Lully. Un décor prestigieux pour la finale du concours d’éloquence des centres de formations, un projet éducatif porté par l’association Prométhée Éducation, qui veut casser les clichés sur les footballeurs et qui a vu quelques grands talents s’illustrer, comme Ayyoub Bouaddi ou Warren Zaïre-Emery.
« Le lieu, le public, le jury et les personnalités, c’est intimidant, c’est le château de Versailles quand même ! », confie Isaac Gnafoua, l’un des participants, en formation au Paris FC. Après des finales tenues à l’Elysée et à l’Assemblée nationale les années précédentes, la Galerie des Batailles portait bien son nom pour accueillir la joute verbale entre jeunes footballeurs, de la génération 2009, plus habitués à se croiser sur les terrains. Leurs survêtements comme tenue d’apparat, ils ont chacun déclamé leur plaidoirie de quelques minutes sur des thèmes variés comme « La raison doit-elle toujours guider nos actions ? », « Les mots ont-ils plus de pouvoir que les actes ? », ou encore « Pourquoi est-il si difficile d’être soi-même ? ». Le tout devant un jury composé, entre autres, du champion du monde 1998 Robert Pirès, de l’ancien joueur de Liverpool Florent Sinama-Pongolle, de l’arbitre et ancien joueur Gaël Angoula, et du député Karl Olive.
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Les 119 mètres de long de la galerie, ses 82 bustes et 33 tableaux de victoire des armées françaises, de Clovis à Wagram, avaient de quoi impressionner les aspirants footballeurs, issus de dix clubs : l’AS Saint-Etienne, le Losc, Valenciennes, Le Havre, le Paris FC, le PSG, Reims, Toulouse, Monaco et l’OM. « Je tremblais un peu, je transpirais, puis après, tu récites, tu regardes les gens et tu te mets un peu à l’aise », raconte Isaac Gnafoua. Un stress « différent des matchs », selon le jeune Rémois Zahid Hayan, mais « plus important qu’avant certains tournois internationaux auxquels j’ai pu participer », assure-t-il.
Passée la musique de l’entrée des joueurs de leurs clubs respectifs pour monter sur scène, avec une démarche assez nonchalante, les jeunes joueurs se transforment. Voix portante, ton sérieux, silences marqués, gestuelle assurée et regard soutenu, ils récitent leur texte tels des hommes politiques qui cherchent à convaincre l’auditoire. Un texte élaboré au cours de la saison, lors d’ateliers, avec l’aide de Mohamed Slim, président de l’association Prométhée Education, diplômé de Sciences Po. « Au long de l’année, je vois deux transformations marquantes : d’abord le ‘ça ne m’intéresse pas’ et ‘je n’ai pas signé pour ça’, qui se transforment en plaisir, puis la timidité qui se lève petit à petit parce qu’ils se rendent compte qu’ils sont capables de parler devant un auditoire de 200 personnes », constate-t-il.
« On aime bien définir un sujet qui colle un peu au profil des joueurs, pour qu’ils travaillent leur réflexion, poursuit Mohamed Slim. Par exemple pour Waren Jean-Louis, candidat de l’AS Monaco, son coach m’a dit qu’il avait peur quand il a été testé sur un match des U17. Or, son sujet c’est ‘la peur est-elle un frein ou un moteur ?’. L’entraîneur peut donc s’appuyer sur cette réflexion pour lui montrer qu’il fallait appliquer à soi-même les arguments de sa plaidoirie ».
Capucine Pourrier, défenseure latérale à Valenciennes, qui comptait parmi les deux seules concurrentes féminines de cette finale nationale, a, quant à elle, choisi d’argumenter sur le sujet de la pression, nécessaire à la performance. Une plaidoirie qui mêlait exemples footballistiques, comme le dévouement de Cristiano Ronaldo à son sport, et citations de philosophes ou d’historiens. Ainsi, les jeunes footballeurs citent tour à tour Blaise Pascal, Aristote, Jean-Jacques Rousseau, René Cassin…
« C’est l’un des objectifs de ce concours d’éloquence. Le développement d’un esprit critique de citoyen au-delà de l’athlète, la communication primordiale dans le foot, et la dimension culturelle unique, pour qu’ils enrichissent leur vocabulaire et se documentent sur les mots et les citations qu’on leur propose », explique Mohamed Slim. Et pour compléter l’expérience culturelle, les jeunes participants ont eu le droit à une visite guidée du Château de Versailles, vidé de son public puisque fermé le lundi.
Avec cet exercice, la jeune joueuse assure avoir pris confiance en elle : « Je suis plutôt quelqu’un de réservée, en retrait, j’ai peur de prendre la parole devant la classe, donc c’était un peu un défi, ça m’apporte beaucoup », reconnaît-elle. « Parfois, on retrouve certains traits de personnalité des joueurs dans leur élocution, mais il y en a d’autres qui nous surprennent, observe d’ailleurs Pierre-Antoine Patte, coach des U16 du Losc. Il y a des garçons qu’on identifie comme assez réservés, et qui nous surprennent totalement derrière le pupitre ».
L’entraîneur lillois avait fait le déplacement à Versailles avec une délégation lilloise d’une trentaine de personnes, pour encourager Keziah Moreira et Amin Dabbadi, qui ont remporté la finale interne du club pour le représenter lors de la finale nationale. Preuve de l’importance accordée par les responsables sportifs du Losc à ce concours d’éloquence, qu’il a remporté pour la troisième année consécutive grâce à la victoire de Keziah Moreira, premier prix dans la catégorie « Lauréat ». Il succède notamment à Ayyoub Bouaddi, vainqueur en 2023 et qui a brillé cette saison en Ligue des champions.
« On prend l’exercice très au sérieux, parce qu’on estime que c’est extrêmement bénéfique pour eux, ça leur apporte sur et en dehors du terrain, donc on dégage beaucoup de temps pour progresser dans cet exercice-là », explique Sofiane Talbi, responsable du Losc Formation. « Il y a effectivement beaucoup d’envie chez les joueurs lillois, confirme Mohamed Slim, parce que la direction fixe cela comme un objectif club en début de saison. Keziah et Amin étaient toujours demandeurs, ils m’envoyaient des vidéos de répétition tout le temps, et demandaient des ateliers de répétition supplémentaires ».
Dans sa plaidoirie sur le thème « Attitude ou talent », Keziah Moreira a convaincu le jury par son ton très assuré et captivant, au moment de citer les anciens lillois Eden Hazard et Lucas Digne comme exemples de grand talent pour le premier et d’attitude exemplaire pour le deuxième. « L’attitude, c’est la persévérance face à l’échec. L’attitude a ce pouvoir extraordinaire de ne pas être limitée, alors que le talent peut l’être », a-t-il affirmé avec conviction.
« Je suis déjà un leader dans le vestiaire, j’avais déjà des aptitudes à parler fort, mettre de la voix, parce que je le fais sur le terrain, mais là j’ai appris les gestes aussi. »
Keziah Moreira, premier prix dans la catégorie Lauréatà franceinfo: sport
« J’ai appris aussi du vocabulaire, et j’ai gagné de la confiance en moi, beaucoup de confiance en moi, avoue le jeune milieu de terrain défensif, décoré sous les yeux fiers de ses parents, venus pour l’occasion. Savoir que j’ai gagné le premier prix, c’est un honneur et c’est quelque chose en plus, parce que les clubs regardent s’il y en a dans la tête et pas seulement dans les pieds ».
« Très honnêtement, j’ai été impressionné, confiait Robert Pires à l’issue des délibérations. Ils étaient tous hyper intéressants, avec la voix, les gestes, le regard vers le public. Ils ont 15-16 ans il faut le rappeler. Ça a été dur pour nous le jury. Connaissant mon caractère, assez timide, je pense que je ne l’aurais pas fait à leur âge ». Comme l’année précédente, la catégorie « Coup de cœur » a, quant à elle, été remportée par un Stéphanois, Bryan Ngindu, devant Amin Dabbadi. Mais avec un niveau en hausse sur cette sixième édition du concours, Mohamed Slim assure que « l’esprit de compétition entre les clubs commence à prendre », et que le Losc et Saint-Etienne devraient se méfier d’une concurrence accrue pour leurs couronnes l’année prochaine.
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