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Rupture avec la LFP, modèle Premier League, crise des droits TV… Les six questions que pose la révolution voulue par la FFF pour le foot professionnel

Après l’effet d’annonce, l’analyse des propositions. Au lendemain de l’annonce de la révolution du football professionnel français par Philippe Diallo, président de la FFF, franceinfo: sport a interrogé Christophe Lepetit, économiste du sport, pour comprendre la direction entreprise par les dirigeants du ballon rond en France. Six questions se posent face à ce « projet de rupture » qui ne changera rien à court terme selon Christophe Lepetit.

En quoi cette « future société commerciale de clubs actionnaires » marque-t-elle une rupture avec la LFP ?

« C’est une vraie rupture surtout dans le mode de gouvernance, assure Christophe Lepetit, économiste du sport au Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges. C’est-à-dire que jusqu’à présent, le code du sport qui régit la gouvernance sportive prévoyait que lorsqu’une ligue professionnelle était créée par une fédération sportive, ici en l’occurrence par la FFF, cette ligue devait être constituée sous la forme d’une association loi 1901. La réforme qui a été annoncée par le président de la FFF prévoit désormais que la future instance qui gérera les compétitions professionnelles ne sera plus une ligue organisée sous format associatif mais une société de clubs. C’est-à-dire un format avec des clubs qui seront propriétaires de cette société. Des clubs qui évolueront en Ligue 1 et en Ligues 2 a priori, et qui perdront leur statut de propriétaire de la société si jamais ils venaient à être rétrogradés jusqu’en National 1 par exemple. »

Pour lui, « la seconde révolution, c’est le mode de direction de cette future société. Aujourd’hui, l’organe qui régit et qui prend les décisions au sein de la LFP, c’est le conseil d’administration, qui est composé des clubs. Demain, visiblement, ça devrait être un directoire composé de personnalités qui seront nommées pour cela, et rémunérées pour. Et ce directoire pourra être révocable, si tant est qu’ils prennent des décisions qui ne soient pas favorables à l’intérêt supérieur du football professionnel en France. Donc on aura probablement une forme de gestion déléguée de la part des clubs à un directoire de personnes qui seront expertes dans leur domaine [juridique, commercial, droits TV, etc…].« 

Pourquoi tout le monde parle d’un « modèle Premier League » ?

La référence à la Premier League est logique, pour l’économiste : « Parce que la Premier League fonctionne déjà avec une société de clubs, qui d’ailleurs ne comprend que le championnat de première division, et est composée des 20 clubs qui évoluent en première ligue. » Mais le modèle ne sera pas, a priori, un copié-collé de ce qui se fait outre-Manche : « Il y aura quand même des différences dans notre futur modèle, parce qu’a priori, on évoque plutôt un format où cette société de clubs intégrerait des formations de L1 et de L2 », rappelle Christophe Lepetit.

Et si l’économiste s’interrogeait sur le devenir de l’accord avec CVC, Philippe Diallo, le président de la FFF, avait précisé, lors de sa conférence de presse lundi, que « CVC aura 13% de cette future société commerciale comme elle a aujourd’hui 13% de LFP Media ».

Qu’est-ce que ça va changer concrètement pour les clubs français ?

« Pour le commun des mortels, il n’y aura pas une différence significative, puisqu’on aura toujours une instance qui sera chargée d’organiser des compétitions professionnelles, tranche Christophe Lepetit. La crise, elle est là. Et ce n’est pas cette mesure, quand bien même elle est effectivement révolutionnaire, qui va complètement changer la situation du football professionnel français. »

« Il va falloir une action globale, coordonnée. Il y avait trois groupes de travail mis en place par la FFF début mars et beaucoup de propositions ont été formulées sur le contrôle de gestion : le salary cap, la limitation des effectifs, l’intégration de la DNCG, etc. C’est ce package de mesures qui devrait impacter positivement les clubs. »

Christophe Lepetit, économiste du sport

à franceinfo: sport

« Je pense que ce sont des mesures et des évolutions qui visent à poser les bases d’une situation assainie dans le but d’améliorer de façon significative la situation. Mais très clairement, je ne dirais pas que, du jour au lendemain en mettant en place ces éléments-là, tout va changer. »

Ces mesures ont-elles déjà fait leur preuve dans d’autres pays ?

Pour juger du bien-fondé des propositions faites par le président de la FFF, Christophe Lepetit se tourne une nouvelle fois vers la Grande-Bretagne : « D’abord, il y a ce que fait la Premier League dans le cadre du contrôle des rachats de clubs. Elle a, dans la foulée du rachat de Newcastle par le fonds d’investissement saoudien du PIF [Public Investment Fund], mis en place un système qui fait que les clubs peuvent contrôler et valider l’arrivée de nouveaux investisseurs à leur tête. Une mesure qui fonctionne bien outre-Manche. »

Et il se tourne également de l’autre côté des Pyrénées, avec l’application d’un salary cap qui ne dit pas son nom mais qu’il juge comme « une bonne pratique » : « En Espagne, la Liga a remis en place un contrôle de gestion, et plus particulièrement un contrôle salarial beaucoup plus strict, qui a d’ailleurs particulièrement gêné cette saison le Barça, longtemps menacé de perdre quelques joueurs parce qu’il n’avait pas la capacité à pouvoir les engager. Il ne porte pas son nom, mais dans les faits c’est un salary cap. En gros, la Liga autorise chacun des 20 clubs du championnat à engager une certaine masse salariale selon les recettes générées par chaque club. Et si les clubs dépassent cette masse salariale, ils ne sont tout simplement pas autorisés à enregistrer les joueurs. »

Dans combien de temps cette révolution peut-elle être mise en place ?

« Il y a d’abord un enjeu législatif, répond Christophe Lepetit. Il faut changer la loi pour permettre à la future ligue d’être constituée sous la forme d’une société de clubs ,et ça ne sera pas avant la saison 2026-2027. La loi existe déjà mais il va falloir modifier le texte de loi. Ensuite, il va être débattu à l’Assemblée nationale, au Sénat, etc. Entre le moment où vous intégrez ces articles, le moment ou tout cela est voté, il se passe un laps de temps relativement important. La saison prochaine commence le 1er juillet 2025, officiellement. Donc c’est absolument impensable que ça soit mis en place d’ici là. »

Pour l’économiste, cette « révolution » devra donc se réaliser « en deux temps, avec l’aspect législatif, l’évolution de la gouvernance, et puis il y a ensuite le sujet qui relèvera plus du domaine de compétences et de régulation des acteurs sportifs, qui ne nécessitent pas d’en passer par la loi. Pour ça, il faudra effectivement modifier les règlements, qui sont aujourd’hui les règlements fédéraux et de la LFP. »

Est-ce qu’elle peut réellement sortir le foot professionnel français de la crise profonde liée aux droits TV ?

« Potentiellement, ça ne va rien changer du tout ! La réforme de la gouvernance, le passage dont on parle, c’est une réforme structurelle et qui portera ses fruits et ses effets sur le moyen ou le long terme », estime Christope Lepetit.

« Là, on a une crise aiguë, conjoncturelle, une crise économique très forte autour du sujet des droits TV. Ce n’est pas parce que vous passez d’une association à une société que le sujet de la façon dont vous allez vendre vos droits télés va changer. »

Christophe Lepetit, chargé d’études au CDES de Limoges

à franceinfo: sport

« Aujourd’hui, la vente était assurée par LFP Media, qui est la société commerciale créée par la LFP. Les modalités de distribution étaient ainsi définies par la Ligue après des négociations entre clubs de Ligue 1, et entre clubs de Ligue 2. Et l’un des points, c’était que les droits internationaux revenaient intégralement aux clubs qualifiés en Coupe d’Europe. Or, visiblement, dans l’ensemble des mesures et des éléments proposés, il y figurerait aussi la possibilité de revoir ce système de distribution. En particulier des droits internationaux, pour faire en sorte qu’ils ne reviennent pas uniquement aux clubs européens. »

Reste que cette modification, pour le responsable des études économiques du CDES de Limoges, aurait pu être décidée sans pour autant attendre le changement de la loi : « Ils auraient tout à fait pu le faire dès aujourd’hui, dans le cadre de la LFP associative. Il ne nécessitait pas d’en passer par un changement de statut juridique de la ligue. »



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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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