Snobée par l’Europe, la Coupe du monde des clubs continue de déchaîner les passions en Amérique du Sud
Tout est une question de perspective. En Europe, la Coupe du monde des clubs – réinventée cette année par la FIFA – n’a jamais fait se lever les foules, peu importe le format (Coupe intercontinentale de 1960 à 2004, Coupe du monde clubs de 2004 à 2025). De l’autre côté de l’Atlantique, c’est tout l’inverse. « Historiquement, ça a toujours été important », assure Eric Frosio, correspondant pour L’Equipe au Brésil depuis 2008.
« Dans les tribunes du Flamengo, on chante toujours à la gloire du 3-0 infligé à Liverpool en 1981. La Coupe du monde des clubs n’est pas secondaire comme en France ou en Europe. Pour Flamengo, par exemple, la victoire de 1981, c’est comme la Ligue des champions de l’OM en 1993, c’est le point culminant de l’histoire du club« , développe le journaliste.
Triple vainqueur de la compétition en tant qu’entraîneur, Carlos Bianchi tacle : « Je ne comprends pas que la France ne s’intéresse pas plus à cette compétition. Peut-être que c’est parce qu’aucun club français ne l’a jamais jouée ? »
Pour comprendre cette différence de point de vue, il faut d’abord revenir aux racines de cette compétition jugée secondaire en Europe. Créée en 1960, la Coupe intercontinentale des clubs a opposé jusqu’en 2004 le vainqueur de la Ligue des champions à celui de la Copa Libertadores. « Dans les années 1960, elle se jouait en aller-retour mais était émaillée par des violences en Amérique du Sud », raconte l’historien du sport Paul Dietschy.
« De 1980 à 2004, elle se jouait au Japon, en décembre. Entre le déplacement lointain et le décalage horaire, ça n’a jamais vraiment pris en Europe. Les clubs sud-américains étaient déjà plus motivés pour gagner le trophée, et prouver ainsi que le football sud-américain est le meilleur du monde. »
Paul Dietschy, historien du sportà franceinfo: sport
En 2004, après avoir organisé un championnat du monde des clubs en 2000, la FIFA reprend la main sur cette compétition et y inclut les champions des autres continents. À ce moment, les clubs sud-américains ont été sacrés 23 fois champions du monde, contre 21 fois pour les Européens. « Il y a trois mondes dans le football : l’Europe, l’Amérique du Sud, et un troisième qui va de l’Afrique à l’Asie, en passant par l’Océanie et l’Amérique du Nord », dresse Paul Dietschy.
« Pour les Européens, la compétition de clubs ultime, c’est la Ligue des champions, qui est la plus ancienne et la plus prestigieuse. Les Européens considèrent qu’ils n’ont rien à prouver, puisque les meilleurs joueurs jouent dans leurs clubs qui sont les plus riches du monde », résume Paul Dietschy. Une tendance qui se confirme depuis une vingtaine d’années. Car depuis que la FIFA organise la Coupe du monde des clubs (ancien format), l’Europe l’a remportée 16 fois, contre quatre victoires des Sud-Américains, et aucun succès pour les autres continents.
Ces sacres à répétition n’ont toutefois pas fait décoller la popularité de la compétition, « notamment parce qu’elle se joue en décembre, quand le foot européen sature déjà de matchs, et souvent à l’étranger, donc avec du décalage horaire », estime l’historien du sport, qui regrette aussi le mépris européen pour le football sud-américain. « Dans les années 1960, le Brésil devient le pays du football avec le roi Pelé, donc l’Europe respecte tout ça. Mais, d’un autre côté, l’Amérique du Sud représente aussi le jeu dur et la violence des supporters, dans des pays à l’époque dictatoriaux, donc les Européens se méfient aussi. C’est dans ce contexte que sont regardées les finales intercontinentales. »
« Quand on est une équipe sud-américaine, les Européens nous regardent de haut, ce qui motive aussi, peut-être. Donc on veut montrer qu’on a le niveau » confirme ainsi Carlos Bianchi, ancien attaquant du Stade de Reims et du PSG, et sacré trois fois champion du monde des clubs en tant qu’entraîneur. « Ce sont des titres aussi beaux et importants que les autres ! », martèle l’Argentin, pour qui la Coupe du monde des clubs a toujours été « un objectif et une question d’honneur », et selon qui on « minimise un trophée quand ce sont les autres qui le gagnent« . Une position partagée sur tout le continent sud-américain.
Aussi à l’aise en Europe qu’en Amérique du Sud, Carlos Bianchi s’étonne que l’Europe ne soit pas plus euphorique autour de ce rendez-vous mondial. « Un des plus grands entraîneurs italiens de l’histoire, Fabio Capello, a souvent dit que son plus grand regret c’était leur défaite contre nous, Vélez Sarsfield, en 1994, rappelle-t-il. Milan venait d’humilier le Barça de Cruyff, et on les a battus ! »
« L’histoire du football a souvent été écrite avec une vision européenne. L’Amérique du Sud considère avoir réinventé le foot, l’avoir sublimé avec la technique, et garde un ressentiment envers l’Europe, qui ne la considère pas assez et qui vient piller ses jeunes pépites de plus en plus tôt », explique Paul Dietschy.
« Les Brésiliens et Argentin ont toujours voulu contester cette domination européenne, et grâce au Mondial des clubs, ils peuvent le faire sur le terrain. »
Paul Dietschy, historien du sportà franceinfo: sport
Même remanié, avec la présence de 32 équipes, le Mondial des clubs suscite encore cette année autant d’impatience en Amérique du Sud que d’indifférence en Europe. « Depuis plusieurs semaines, on en parle beaucoup au Brésil, qui envoie quatre clubs à ce Mondial, témoigne Eric Frosio. Il y a une vraie excitation, les clubs brésiliens sont très curieux de savoir comment ils peuvent rivaliser face aux Européens. Le Brésil a toujours cette envie de prouver qu’il est légitime, qu’il peut battre les meilleurs clubs européens. »
Le football brésilien bénéficie d’ailleurs d’un avantage certain, précise le correspondant français : « Ici on est en plein milieu de la saison, avec une trêve mise en place spécialement pour ce Mondial. Le timing convient bien aux clubs brésiliens, dont les staffs sont sous pression. Ils veulent tous sortir des poules ». L’effervescence tranche avec le relatif anonymat dans lequel le PSG et les huit autres clubs européens ont décollé pour les Etats-Unis.
« Si Paris la gagne, la France, dont les clubs brillent si peu à l’étranger, changera peut-être de regard sur cette compétition », imagine Paul Dietschy, « Mais pour que l’Europe s’attache à ce nouveau Mondial, il faudrait qu’il soit organisé en Europe. Ce qui, de fait, mobiliserait bien plus les supporters ». L’hypothèse pourrait se vérifier lors de la prochaine édition, en 2029, puisque l’Espagne, le Portugal et le Maroc ont candidaté ensemble, face à l’Australie. Le PSG, en tant que vainqueur de la Ligue des champions 2025, est lui déjà qualifié.
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